La loi de Murphy
Anders et Lorcan
Des heures.
Ça faisait des heures que Lorcan était empêtré dans de vaines recherches.
Ses yeux papillonnaient et les élans de son cœur le tiraillaient douloureusement. Il n'était pas un détective, et sans doute que s'il en avait été un, Lorcan aurait été particulièrement mauvais. Il ne savait pas ce qu'il cherchait, ni combien de lièvres il courait en même temps. Trop. Trop de pistes vaines. Il soupira et se prit la tête entre ses mains.
Qui était réellement Cole Hawkins ?
Un ancien militaire, né au Texas à Talahassee s'il en croyait la carte d'identité qu'il lui avait subtilisé, ainsi que la décharge honorable qu'il avait visualisée rapidement dans sa chambre de motel. Un homme mystérieux, qui taisait son passé, et oh comme Lorcan maudissait ce passé, cette part insaisissable qui, il le savait, s'abattrait tôt ou tard sur leur fragile idylle.
Car il ne pouvait ignorer les faits. Tous les faits.
La ressemblance de Cole et de James. Ce sosie présent, ici, à Lewiston, et qui se sentait inexorablement attiré par Lorcan. Aimanté, comme si un lien invisible les reliait l'un à l'autre.
Le destin. C'était une belle hypothèse. Celle que le jeune homme avait le plus envie de croire. Celle qui avait un goût de conte de fée qui se termine par ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...
C'était les enfants le problème. Son attache à la réalité, l'ancre qui retenait Lorcan lorsque, dans un élan d'égoïsme, il manquait de fuir cette bibliothèque, de se réfugier dans les bras de Cole quitte à s'en brûler les ailes, le laisser lui arracher ses ailes et le garder à lui à tout jamais. Si seulement.
Si seulement –
Il ne pouvait pas. Parce qu'il était un père, et qu'en tant que tel, vivre dans le rêve était un luxe qui ne lui était pas permis. Alors il baissa les yeux sur les documents qu'il avait rassemblé, et là au coin de l'acte de naissance de son époux, Lorcan retrouva l'envie de pleurer.
Putain.
Putain,
James...Il refoula ses larmes et se leva de sa table pour se mettre en quête de ce dont il avait besoin : le registre des naissance de 1987. James n'avait pas de jumeau, car il l'aurait dit à Lorcan. James ne lui mentait jamais, pas pour les choses importantes. Mais, et s'il n'avait jamais été mis au courant ? Et si Cole Hawkins avait appris sa filiation avec les Kingsley ? Un homme à l'identité fausse, auquel on aurait menti toute sa vie, et qui venait ici à Lewiston, chercher qui il était. C'était une théorie. Une parmi les cinquante autres qui lui fourmillaient dans la tête. C'était tiré par les cheveux, mais au point il en était était, Lorcan se contentait du probable.
Il se stoppa dans les couloirs de bois et de papiers, inspectant les reliures classées par années. Plus on remontait dans le passé, plus les registres remontaient en hauteur dans les étagères. Coup de trafalgar du karma qui le haïssait ces temps ci, ou manque de bol, 1987 était haut. Vachement haut. Plus haut que son mètre quatre-vingt. Et plus encore plus haut que ce qu'il pouvait grappiller sur la pointes des pieds et les bras levés.
Lorcan se demanda pourquoi on construisait des étagères pour géants quand clairement, personne ne mesurait deux mètres cinquante de haut. A part le géant vert. Et sa montagne de frustration personnelle, plus haute que l'Everest. Car oui, à cet instant, le gentil infirmier envisageait sérieusement la possibilité de poignarder quelqu'un à coup de stylo à bille pour se passer les nerfs.
A la place, il avisa la bibliothèque bourrée de bouquins, et avec toute la force de sa détermination furieuse, grimpa d'un pied sur la première étagère. Puis la seconde. La troisième. Tarzan aurait été fier de lui. Le registre de 1987 était à portée de main ! Tel un ouistiti sous adrénaline, Lorcan tendit le bras pour attraper son précieux. Il y était presque, il –
« Eeeep ! »L'étagère tombait ! De tout son poids et avec celui de Lorcan que la gravitait emportait en arrière, la bibliothèque percuta l'autre bibliothèque, juste en face, dans un boucan de tous les diables. Lorcan se sentit choir de son perchoir improvisé, tomba sur le dos dans un
« Ouff ! » qui lui coupa la respiration, et rampa à toute blinde, hors du massacre, avant qu'une pluie de registres s'abatte violemment sur sa tronche.
Groggy, sous le choc, et assis sur ses fesses, son précieux registre de 1987 serré contre son buste, Lorcan assista impuissant au vacillement de la DEUXIEME bibliothèque. Ce qui n'était qu'un vague penchage sur le côté façon Tour de Pise, se mua comme au ralenti en un gigantesque effet domino. C'était toute la section archives qui ployait sous l'effet de sa seule connerie. C'était le feu d'artifice du Jour de l'Indépendance, c'était toutes les détonations d'un régiment d'artillerie qui explosaient en même temps dans un vrombissement à faire pleurer un larsen. C'était un massacre sans nom, et Lorcan eut juste le temps d'apercevoir un homme – en espérant qu'il fut le seul dans ce coin peu fréquenté de la bibliothèque – au milieu de la tourmente, et de crier dans un élan de panique.
« ATTENTION ! »